Luc Sonor : Notre interview d’une Légende

Luc Sonor : Notre interview d’une Légende

24 septembre 2022 35 Par Christopher T

Luc Sonor, légende de l’AS Monaco avec près de 315 matchs a passé 9 saisons sur le Rocher, il aura inscrit 5 buts et participé à toutes les compétitions les plus prestigieuses sous le maillot Rouge et Blanc. Ce défenseur au style rugueux a su imposer sa loi et se faire craindre de ses adversaires. Toujours supporter du club de la Principauté et grand amoureux du football, il a accepté de nous répondre pour une interview de légende. Rencontre avec ce grand Monsieur.

 

Avec plus de 3OO matchs sous la Diagonale, quel souvenir gardez-vous de votre parcours sur le Rocher ? 

Mon arrivée à Monaco, j’en garde un très bon souvenir. J’arrive de Metz où j’ai gagné la Coupe et dès la première année on gagne le championnat de France, mon premier. C’est une arrivée merveilleuse. Avant de signer à Monaco, j’avais des pistes du côté de Lyon, du PSG… Et je reçois un coup de fil d’Arsène Wenger, encore en poste à Nancy, qui me dit signe je te rejoins l’année prochaine. Je m’engage avec le club et à mon arrivée c’est Stefan Kovàcs qui officie. J’arrive de Metz, je ne suis pas serein, à l’époque il n’y a quasi que des internationaux, moi j’ai connu la sélection seulement en jeune. Je ne suis pas à l’aise. Je suis comme le petit qui débarquait content et fier d’avoir pu signer dans un club comme Monaco. Je ne vais pas dire que les débuts se passent bien, l’adaptation est difficile et les premiers temps je rappelle même le président de Metz pour revenir mais il me convainc de rester, que c’est un bon club, je vais m’y adapter. Très vite Arsène arrive et met de l’ordre et structure la vie au sein du groupe. Ça change fondamentalement ma vision des choses et me fait gagner en confiance.

A Monaco il y a ce contact avec le public, cette proximité avec les gens, la famille princière assiste à tous les matchs, elle est impliquée et ça aide l’équipe à se donner à fond sur le terrain. Pour nous, joueurs, les conditions d’entrainement à la Turbie sont sensationnelles. J’ai toujours été fier de jouer à Monaco car je me rendais compte de la chance d’évoluer dans ce cadre. Je suis toujours amoureux de Monaco ; à chaque fois que je retourne là-bas et que je vais au Louis II j’en ressens de la fierté, j’ai encore des frissons.

Y a t-il un match en particulier qui vous a marqué ?

Un particulier, oui (rires) contre Bruges en Coupe d’Europe, je marque lors de ce match mais surtout je me rappelle des paroles de l’entraîneur de Bruges, qui après notre défaite au match aller, disait que Monaco ne valait rien mais voilà au retour un festival avec une victoire 6-1 et la qualification au bout. Youssouf Fofana et José Touré avaient fait le reste. C’est mon meilleur souvenir de match en Coupe d’Europe, le stade était plein et la confiance du public, nous avais beaucoup aidés. Quand j’en parle avec des gens de ma génération c’est ce match qui ressort, comme celui avec la bande à Giuly face au Real ou encore celui face à City. Ça montre que Monaco est dans la durée et chaque génération de supporters à son match référence.

Pourquoi avoir quitter l’AS Monaco ?

En 1994, je me blesse gravement (fracture péroné) donc forcément le club cherche à me remplacer. A mon retour de blessure, Wenger vient d’être limogé, alors il plane une certaine incertitude, avec Arsène on avait tout gagné, il avait insufflé une dynamique, le vestiaire était solidaire. J’ai une discussion avec le président Campora, avec qui j’ai toujours eu de bonne relation, je lui dis que je veux jouer mais des contacts ont déjà été pris avec Eric Di Meco, et le coach Petit et Ettori se sont succédés en peu de temps. Pendant un temps on a joué ensemble avec Eric, il était à mon poste à gauche et je jouais devant lui, ça le faisait nous avions enchainés 7-8 victoires d’affilées. Lorsque Gérard Banide est nommé, il a estimé que Di Meco était meilleur. Je voulais jouer donc j’ai décidé de partir. Une fois parti Campora me rappelle pour me demander de revenir, mais pour moi il fallait tourner la page. Monaco m’a tout donné et mon cœur est là-bas c’est ma maison.

On dit souvent que l’AS Monaco est un club à part où il faut être bien entouré pour réussir. De par votre propre expérience, comment l’avez vous ressenti personnellement ? Et quelles sont les clés pour les jeunes qui souhaitent réussir dans ce contexte ?

Le danger quand on arrive à Monaco c’est d’imaginer que tout est permis et que tout n’est que luxe, et qu’on est intouchable. C’est un endroit où il faut travailler 2 fois plus, il faut mériter sa place. Le terrain doit faire oublier l’extra-sportif, il faut constamment se remettre en question. Quand nous perdions un match, les amis les relations me disaient, oh c’est pas grave, tu vis à Monaco tu as la belle vie. C’est vrai, mais il faut se battre pour le terrain et c’est en tant qu’homme qu’on grandit. Nous ne sommes pas là que pour les paillettes mais pour le terrain, le foot. Le vestiaire se sentait impliqué pour Monaco, pour le public pour le Prince qui nous soutenait, on se sentait investi d’une mission pour prouver que le cadre de vie ne prenait pas le dessus sur ce pourquoi on était là.

Les joueurs de maintenant, ils embrassent le maillot, l’écusson mais la semaine d’après ils partent, à mon époque nous n’embrassions pas le maillot mais on restait (rires). Jouer à Monaco est un privilège et la manière dont le groupe réagissait quand il y avait un départ, le prouvait, pendant des semaines on insistait pour que le joueur reste, il y avait une ambiance solidaire, familiale entre nous. Monaco a toujours été jalousé, on nous appelait les “p’tits riches”. Et les critiques récurrentes sur le fait qu’il n’y a pas de public et bien justement ça prouve que même sans ça on gagne des titres, le palmarès est là et à Monaco on est encore plus fort qu’ailleurs. Grâce au club, j’ai été international et remporté des titres, on jouait pour rendre tout ce qu’il nous donnait au quotidien.

Le 5 Septembre dernier, vous avez été invité pour l’inauguration du nouveau centre de performance, quelle a été votre première impression ? Auriez-vous aimé évoluer dans ces infrastructures ?

Ma première a été, Waow !, c’est top ce qu’ils ont fait. On s’est dit avec Puel et Ettori, ils ont tous ce qu’il faut pour performer, mais vont-ils pour autant gagner ? C’est la question, parce que à notre époque, sans vouloir paraître démago, à la Turbie, il faut le dire les installations étaient pourries, 3 douches seulement fonctionnaient, mais on avait conscience d’être à Monaco et qu’il fallait gagner pour l’institution. C’est Arsène qui nous a inculqué cette culture de la gagne.

Pendant l’inauguration Wissam est venu me voir pour me dire qu’il avait la pression du résultat par rapport aux infrastructures, mais comme je lui ai dit, le club fait des efforts pour vous pour vous mettre dans les meilleures conditions, mais ça ne fait pas tout, il faut que vous légitimiez cela sur le terrain, le job ça restera toujours à vous de le faire sur le terrain. C’est une aide précieuse mais faut pas s’arrêter à ça, faut travailler. Disasi et Fofana sont également venus nous parler du culte de la performance avec ce centre, mais l’essentiel est de croire en son potentiel et avoir la motivation de performer pour cette institution.

C’est en ça que je dis que Wenger a révolutionné le club à son arrivée, il a arrêté le soda, le vin à table, il s’est rendu en cuisine, il a recadré les choses. Il nous a apporté une rigueur. Nous étions tous dans un confort, surtout les Anglais qui aimaient savourer leur bière (rires), mais on a pris le bon côté de la chose et on a été champion la première année.

Si j’avais connu ces installations à mon époque, ça me pousserait à rester à Monaco, je vendrais même dormir là ! Il faut prendre ce potentiel technologique en se disant qu’on peut se donner à fond sur le terrain car derrière y a tout ce qu’il faut pour récupérer rapidement. Et ça, ça te rend serein dans la tête. Mais je peux vous dire que les joueurs actuels sont fiers.

Quel effet ça fait d’être invité après toutes ces années ?

Les légendes étaient invitées par l’intermédiaire de Pierre Jo., que je remercie au passage. Il était présent dans le club à mon époque et il est resté au club, c’est lui qui permet la liaison entre le club et les anciens, grâce à lui on garde ce contact avec le club et on peut échanger avec les joueurs actuels. Donc ça a été une fierté d’être invité et surtout de savoir que je suis considéré comme une légende du club, je ne pensais pas l’être et encore moins dans le Top 10 des plus capés de l’histoire du club.

A cette occasion vous avez pu revoir d’ancien co-équipier, qu’est-ce que ça fait de revenir dans ce lieu unique ? Avez-vous gardé contact avec d’anciens joueurs, si oui lesquels ?

Evidemment, avec beaucoup d’entre eux, comme Arsène, Petit, Amoros, Bijotat, Ettori… J’ai gardé des contacts Djorkaeff aussi. Un de mes amis proches c’est Y.Fofana, ça montre bien qu’on vivait bien ensemble. On se fait des repas tous les 2 mois tous ensemble c’est important pour nous.

C’est en ça que j’aurais aimé que le club conserve cette continuité avec les anciens et les jeunes, ce partage d’expérience, ce lien. Il manque une personne dédiée au club pour effectuer ce travail qui permet de garder en tête ce qu’est Monaco, ce qu’est ce club.

Quel joueur vous a le plus impressionné (ancien équipier ou dans l’histoire du club) ?

Je dirais, Y.Fofana et Delio Onnis aussi c’était de superbes joueurs. Mais celui qui m’a le plus impressionné c’est Glenn Hoddle, un joueur époustouflant. A cette époque on ne le connaissait pas du tout, mais aux entrainements je me disais “ah ouais ce gars à des yeux dans le dos” , sublime, très élégant.

Après mon idole à Monaco c’était Manu Amoros.

Déjà quand vous étiez joueur, il vous est arrivé de vous plaindre de l’arbitrage, et on le constate depuis le début de la saison, Monaco semble toujours être arbitré “différemment”, quel regard portez-vous sur ce traitement ?

Je ne souhaite pas dire que les arbitres délibérément enfoncent le club, même si on peut le penser. Mais j’ai l’impression que Monaco c’est un club gentil, sage, personne ne risque rien, personne ne dit rien. On les a toujours reçu trop bien, ils sont à l’aise quand ils arrivent, et du coup ils ont moins de pression que sur d’autre terrain et c’est plus facile pour eux.

Mais très honnêtement, y en a marre c’est un acharnement à chaque match que je regarde je suis en colère. Ça fausse les résultats, et je parle même récemment pour Reims. Mais tout ça date de nos années, on n’avait pas le droit à l’erreur déjà à l’époque.

Monaco a été propulsé sur la scène européenne sous Arsène Wenger que vous avez côtoyé. Malgré de bons résultats (une finale et une demi-finale), pensez-vous que Monaco a les moyens, face aux grosses écuries, de glaner un titre a moyen terme ?

Bien sûr, sincèrement oui, il y a des retouches à faire, c’est certain, mais il y a la capacité pour remporter la Ligue Europa. C’est possible, surtout quand je vois les matchs de Badia et Fofana hier c’est bon signe, ça va faire du bien au club mais à eux surtout. Ca fait longtemps qu’on n’avait pas installé autant de joueurs titulaires en Equipe de France, c’est un signal fort.

Mais pour ce qui est de la Ligue des Champions, c’est encore trop juste, il faudra plus d’expérience. Nous ne sommes pas prêts.

Pensez-vous que la gestion actuelle, et le business model en place représentent toujours l’ADN de l’ASM ?

Le pognon régit tout maintenant, donc difficile de faire des plans à long terme. Et je ne parle même pas que de Monaco là, les investisseurs se basent sur un business, et combien ils vont récolter. Monaco a touché 100M€ pour la vente de Tchouameni, et le petit Camara est excellent mais pour autant il n’a pas coûté beaucoup, donc si le club peut recruter pas cher et des bons éléments tant mieux mais ça pourrait ne pas durer et ne pas réussir à chaque fois. Cette saison par exemple le recrutement a tardé, le joueur est arrivé trop tard et ça nous a en partie coûté la qualification en LDC.

Je ne vous cache pas que c’est dérangeant pour notre génération, mais le foot a changé et les mentalités aussi, et ce, pas qu’au niveau des dirigeants mais vis-à-vis des joueurs aussi. Si nous, les anciens, on râle, on pourra nous taxer d’aigri, mais dans les faits, à notre époque on a glané des titres sans cette manne financière. Alors c’est vrai, les sous prennent le dessus sur la capacité footballistique du club mais pas au point de le faire passer au-dessus de l’institution.

Cet été par exemple, Monaco était sur Marcelo l’ancien du Real, finalement ils ne l’ont pas pris pour l’âge, mais ils ne se sont pas dit pour l’expérience et le marketing ça peut avoir de belles retombées. Le joueur à Monaco n’aurait pas eu d’impôts ni de taxe, les joueurs ont ce qu’il faut, ils n’ont qu’à penser au terrain, et donc tous ces choix me font penser que Monaco va mettre du temps à glaner un titre européen.

Vous avez eu l’honneur d’être sélectionné en Equipe de France, quel regard portez vous sur la sélection actuelle ? On l’a vu hier 4 joueurs, dont 2 post formation étaient titulaire en sélection, comment expliquer ce succès ?

Sur la sélection actuelle, je suis ravi car Didier Deschamps est conservateur, et les blessés l’ont fait évoluer et ça a permis de donner sa chance à d’autres. Donc pourquoi pleurer certains joueurs quand on voit la prestation des néo bleus, c’est une bonne chose. Hier j’étais content de voir une Equipe de France “nouvelle”. Quand je vois la jeune génération Nkunku, Dembélé, Tchouaméni… je me dis qu’on est bien armé. Et que dire de la prestation de nos Rouges et Blancs, époustouflant. Les “stars” se blessent mais on a de la réserve de qualité.

Les problèmes autour de la Fédé sont indépendants, les joueurs sont sur le terrain c’est à eux de faire leur devoir.

Vous avez monté votre académie aux Antilles, la Corsair Foot Academy, l’avez-vous créée en lien avec Monaco ? Quels sont les objectifs autour des jeunes Antillais à potentiels et comment vous les préparez à quitter leur île natale ?

Que ce soit en Martinique ou en Guadeloupe, avant tout, on est là pour faire de la détection, mais également de la détection sociale. On aime les réunir, faire venir des pros pour qu’ils côtoient le haut niveau et apprennent ce que cela implique. L’année passée j’ai fait venir Makélélé, Drogba et Ettori (qui est toujours là avec moi) Karembeu… pour justement les encadrer. Je fais cela pour que les enfants puissent avoir accès à des joueurs qu’ils ne peuvent pas voir évoluer. Il faut les amener à comprendre le comportement à avoir et les préparer au futur. L’année dernière lors de la détection ont a sorti 8 ou 9 jeunes qui sont montés.

C’est également pour moi l’occasion de donner la chance que je n’ai pas eu. Je suis parti tôt de la maison, avec le manque de mes parents et ceux qui m’entourent. Je veux leur donner toutes les possibilités et les alerter, les informer sur ce qu’est la vie d’un footeux ! Pas uniquement voir les strass et paillettes.

Avec Monaco j’ai tenté d’établir un lien, une passerelle entre les deux car pour moi ça aurait été magnifique de pouvoir faire fonctionner les deux ensemble, mais bon cela n’a pas abouti c’est dommage j’aurais aimé le faire avec mon club de cœur.

Mon fils a joué et est passé par Monaco.

Pour finir, avez-vous une anecdote sur vos 9 années sur le Rocher et un mot pour nos supporters ?

Je veux leur dire que je les aime et que j’ai le même amour pour eux que pour le club. Et continuer à faire honneur au club, restez-vous même et fidèle aux valeurs de l’AS Monaco.

Un grand Merci à Luc Sonor pour son temps, sa gentillesse et sa disponibilité pour répondre à nos questions. Daghe Luc, Daghe Munegu !