Claude Puel : L’entretien exclusif

Claude Puel : L’entretien exclusif

29 novembre 2023 32 Par Romain P

Claude, la silhouette est affutée, la voix calme et posée, le ton sûr et la rancœur absente … passer une heure avec Claude Puel : du pur bonheur.

De ses débuts au centre de formation de l’AS Monaco à aujourd’hui, rencontre exclusive avec l’ancien joueur et entraîneur rouge et blanc.

Claude à l’âge de 16 ans vous intégrez le centre de formation de l’AS Monaco en provenance de Castres pouvez-vous nous raconter votre arrivée en Principauté et votre quotidien à ce moment-là ?

C’est Alberto Murro qui m’a repéré et recruté, à l’époque j’étais en équipe de France Cadet, j’avais le choix entre plusieurs solutions j’ai choisi Monaco dont je ne connaissais rien. Le club était en 2ème division ils sont montés quand je suis arrivé j’ai eu la chance d’assister au titre de 1978 avec cette formidable équipe, la rivalité avec Nice, il y avait deux très belles équipes avec d’un côté Nogues, Petit, Dalger et de l’autre Huck, Jouve Katalinsky entre autres.

C’était le début des centres de formation, on était logé chez l’habitant, nous n’étions que deux à poursuivre nos études Henri Stambouli qui hélas vient de nous quitter et moi. On allait au lycée ALBERT 1ER on ratait l’entrainement du matin, on s’entrainait une fois de moins que les autres le soir. Quand la sonnerie retentissait pour moi c’était la délivrance, on rejoignait en mobylette le groupe sur le terrain stabilisé de Cap d’ail Gerard Banide était l’entraineur. C’est là que j’étais le plus heureux, je pouvais laisser exploser ma frustration de la journée, d’ailleurs le coach bien souvent arrêtait l’entrainement parce que je rentrais trop dedans, j’avais gagné le surnom de trois poumons (sourire) à l’époque je jouais défenseur.

Deux ans après votre arrivée, vous disputez vos premiers matchs en professionnel, quels souvenirs en gardez-vous ?

J’ai été le premier des jeunes à démarrer avec Lucien Leduc. A l’époque les gamins qui montaient du centre de formation étaient mal vus, il n’y avait que 13 places dans le groupe donc un joueur qui arrivait était un danger pour les pro en place. Donc c’était … chaud et puis comme j’avais un jeu qui était engagé ça pouvait être tendu, mais ça faisait partie du truc il fallait montrer les dents pour réussir car les places étaient chères, c’est ce que j’ai fait. J’ai toujours eu ça en moi d’autres peut être moins ce qui fait que certains plus doués que moi n’ont pas réussi à éclore, la sélection s’est faite naturellement par le sérieux et l’envie. De ce coté là les choses ont beaucoup changé aujourd’hui les effectifs sont plus importants donc c’est différent, il n’est pas rare de voir un ancien prendre sous son aile un jeune qui arrive dans le groupe pro.

A ce moment là on se dit j’y suis c’est bon ou au contraire ce n’est que le début ?

Je ne me suis jamais considéré comme arrivé je me suis toujours accroché et battu pour gagner ou garder ma place, à ce propos certains journalistes s’amusaient à dire que je commençais la saison remplaçant mais je la finissais titulaire, ce qui n’était pas toujours vrai.

En tant que joueur vous êtes l’homme d’un seul club, pourquoi n’être jamais parti, avez-vous des regrets par rapport à ça ?

Non je n’ai aucun regret, je ne suis pas parti parce que quand je suis quelque part je ne pense qu’au club où je suis, je défends les couleurs du club et ne pense qu’à ça, je n’arrive pas à me projeter ailleurs. C’est pareil dans ma carrière d’entraineur. J’étais à Monaco, j’y étais bien et je me suis attaché au club mais aussi à la Principauté. A ce moment-là j’étais à fond dedans et puis je jouais dans un grand club du championnat de France nous luttions pour le titre chaque année et on jouait l’Europe. Cela m’a permis de jouer avec de très grands joueurs, que des internationaux, j’ai fait des demi-finales de ligue des champions, une finale de Coupe des vainqueurs de Coupe, remporté des titres ça suffisait largement à mes ambitions même si à cause de ça je n’ai pas participé à l’évolution des salaires, mais ce n’était pas le plus important.

Vous n’avez jamais été sélectionné en équipe de France A après avoir été dans toutes les équipes de France de jeunes, éprouvez-vous des regrets ?

Non pas particulièrement, je pense que ma polyvalence m’a desservi au début, j’étais défenseur central mais je pouvais dépanner sur les côtés, au milieu, j’ai même remplacé Jean-Luc (Ettori) un jour dans les cages…et puis j’ai décidé de me fixer au milieu et c’est vers 26,  27 ans que j’ai commencé à avoir un très bon niveau, mais à l’époque la concurrence au milieu était compliquée Luis (Fernandez), Jean (Tigana), René (Girard), donc je n’ai jamais eu ma chance mais sans regret.

A la fin de votre carrière de joueurs vous restez au club, vous saviez que vous deviendriez entraineur ?

J’avais un accord oral avec le président Campora pour rester au club et devenir directeur du centre de formation, il voulait que je prenne quelqu’un d’expérimenté à mes côtés, j’ai pensé à Gerard Banide, qui était en froid avec le président, finalement à ma grande surprise Campora a dit oui. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu je me suis retrouvé sans rien… Et puis Jean Tigana (entraineur des pro ) m’a téléphoné car il cherchait un préparateur physique, il m’a demandé si cela m’intéressait, j’ai accepté et je suis devenu non seulement préparateur physique du groupe pro mais aussi adjoint à un poste élargi, Jean m’a laissé beaucoup de liberté je m’occupais aussi des jeunes. Et puis lors de la 4ème saison de Jean Tigana les résultats sont moins bons et le climat entre Jean et le président s’est détérioré jusqu’ au jour où Jean a démissionné, le président nous a alors demandé d’assurer l’intérim avec Ettori, Van Kerschaver, Petit, finalement nous sommes restés en place et champion la deuxième saison.

Si je vous dis le 29 mai 2011… Ce soir-là l’AS Monaco perd contre Lyon et est condamné à la ligue 2, l’entraineur lyonnais est Claude Puel, qu’avez-vous ressenti ce soir-là ?

C’est au-delà de ce match c’est l’année entière qui est particulière. J’entame la 3ème saison à Lyon, pour la reprise je suis privé de tous mes internationaux, qui reviennent de la Coupe du Monde en Afrique du Sud très perturbés pour ne pas dire plus, notre début de saison est très mauvais et rapidement la direction du club m’isole, de mon vestiaire, des supporters et je me retrouve seul et en grandes difficultés mais je ne lâche rien et petit à petit on a grapillé j’ai réussi à ramener les joueurs avec moi nous remontons la pente on élimine en huitièmes de finale de la Ligue des Champions le Real, on s’incline en demi contre le Bayern. En championnat nous jouons même la qualification pour la Ligue des Champions à la dernière journée à Monaco…. Nous devons gagner et je savais que si on gagnait Monaco descendait. J’ai préparé le match sérieusement, professionnellement, nous avons gagné et à la fin du match j’avais cette ambivalence des sentiments, j’étais satisfait après une telle année, si difficile où il s’est passé tellement de mauvaises choses de retrouver la Ligue des Champions et d’un autre coté je condamnais mon club de cœur, mon club formateur, j’étais triste. C’était difficile de voir ça après ce n’est pas sur ce match que Monaco est descendu mais ça reste un moment compliqué pour moi. Pour la petite histoire juste après le match je reçois un texto de Seydoux (actionnaire lyonnais) pour me féliciter et le lendemain matin, alors que je me présente au camp d’entrainement pour récupérer mes affaires, Aulas me convoque pour m’annoncer que je suis viré … C’était vraiment particulier.

Vous êtes sans club depuis votre départ de Saint-Etienne, c’est quoi votre quotidien, est-ce que ça vous manque ?

Je fais tout ce que je n’ai pas le temps de faire quand j’entraine, je fais du sport, je m’occupe de ma famille de mes petits-enfants, j’ai tellement donné comme joueur et entraineur… J’ai une vie tout à fait normale.

Si ça me manque ? Je suis passionné, compétiteur, donc quand je suis dans l’action, j’y vais à fond, comme là je n’y suis pas, au fond, je n’y pense pas. Je ne me pose pas véritablement la question, j’aurai pu repartir, on m’a proposé des choses, des sélections, des clubs mais j’ai voulu faire une bonne pause et je ne repartirai que si j’ai l’opportunité de trouver un club qui a les moyens d’aller chercher les premières places. Jusqu’à maintenant, j’ai refusé pas mal de choses.

Et si l’AS Monaco vous contactait ?

J’ai failli revenir deux fois, ça ne s’est pas fait … j’ai refusé … j’ai toujours pensé que si je revenais à Monaco c’était pour boucler la boucle. Pour l’instant ce n’est pas d’actualité.

Vous suivez les résultats de Monaco ?

Oui je les suis, l’ASM, c’est mon club, je regarde aussi certains autres clubs où je suis passé mais Monaco ça reste particulier je suis revenu, j’habite ici, j’ai tout connu grâce à ce club, je suis arrivé à 16 ans, j’y ai joué, j’ai entrainé. Je ne regarde pas les matchs comme un supporter mais s’ils gagnent je suis content.

Le projet monégasque ?

C’est difficile d’en parler, je ne connais plus beaucoup de monde, à part Manu Dos Santos, Fred Barilaro, ce qui est sûr c’est que Monaco doit être tout en haut.

Du tac o tac

Le joueur le plus fort contre qui vous avez joué en tant que joueur ?

Il y en a eu tellement. En fait, j’ai un super souvenir en tant que joueur, avec Arsène Wenger comme entraineur dans la même saison en Coupe des Clubs Champions, on a affronté Barcelone l’équipe de Cruyff, avec Guardiola, Stojkov, Beguiristain, de magnifiques joueurs ; on avait perdu mais on était sorti de la poule et en demi-finale sur un match on joue le grand Milan de Baresi, Maldini, Gullit, Van Basten.

Le partenaire idéal :

C’est compliqué, bien sûr, Ettori, Jeannot Petit, les historiques. Je me suis très bien entendu avec Juan Simon, Enzo Scifo, Franck Dumas c’étaient des copains nous étions proches, c’étaient des joueurs et des hommes avec qui j’ai partagé beaucoup de choses sur et en dehors du terrain.

Joueur ou entraineur ?

C’est pareil, quand je suis passé entraineur, j’ai beaucoup aimé, j’ai préféré, mais maintenant les deux font partie de mon ADN. Joueur j’étais centré sur moi-même, si je jouais pour l’équipe, entraineur si tu restes avec ton esprit de joueur c’est mort. Jacques Devismes me l’avait dit entraineur ce sont les autres qui comptent, tu dois être à la disposition des joueurs ce n’est plus toi qui est important ce sont les autres. Partout où je suis passé j’ai protégé mes groupes, les joueurs c’est pour ca que j’ai pris beaucoup de coups, partout j’ai essayé de développer et m’investir pour le club à Lille avec le stade à Nice avec le centre d’entrainement.

Stade Louis II ou Allianz Riviera ?

(Sourire) Là encore c’est particulier, j’ai commencé à l’ancien Stade Louis II avec le zoo, l’éléphant, etc… Et puis le nouveau en 1985, je suis arrivé à Nice on a commencé au stade du Ray puis on est allé à l’Allianz. C’est un joli clin d’œil je trouve.

Campora ou Rivere ?

Chaque club est différent, les moyens sont différents, l’histoire est différente, les gens sont différents et c’est ça qui est formidable aussi.

 Photo : Icon Sport