Le péril rouge

Le péril rouge

22 février 2024 50 Par Olivier N

Une soirée prolifique, des buts décisifs, une victoire dans la nuit niçoise face à un rival et de surcroît un concurrent qui pouvait nous distancer… ces belles images capitales sont celles du 11 février, l’ASM s’impose à Nice et, le pense-t-on, se relance. Une semaine plus tard les monégasques s’effondrent au Louis II contre un candidat au maintien. Cette équipe a le don de nous laisser un perpétuel sentiment d’insatisfaction, d’insécurité et d’inquiétude. Mais cette défaite face à Toulouse laisse avant tout un sentiment de déjà-vu. Ce dernier match nous l’avons déjà vu dix fois, vingt fois ; une équipe inférieure dans un Louis II désert, un candidat au ventre mou ou au maintien qui, patiemment, nous guette nous attend pour mieux nous lire et finit par nous punir  D’ou vient ce mal si curieux qui nous rend capable de briller face aux meilleurs et de lourdement chuter face aux plus faibles ? Depuis Kovac, l’ASM est sortie de la profonde crise des années 2018/2020, mais voici la quatrième saison de suite que la diagonale, régulièrement, perd des points capitaux à domicile contre des équipes que nous devons battre. Cette ASM se prend-elle pour quelqu’un d’autre ? Est-elle hors-sol ? Petite tentative de décryptage.

Un mal récurrent

Il ne s’agit évidemment pas de tout décrypter au risque de se perdre, mais de nous concentrer sur une typologie de matchs. Des matchs à domicile face à un adversaire intrinsèquement plus faible (dont l’effectif est inférieur en qualité au notre) et aux ambitions largement plus modestes que les nôtres (soit des équipes qui ne visent pas le podium). Soit des rencontres qui doivent faire trois points et qui, régulièrement, depuis 4 ans, se soldent par des échecs. La liste de ces mauvais souvenirs est tristement longue : en décembre 2020 l’ASM se fait ouvrir par le promu lensois 3-0 et pêche face à des stéphanois en perdition (2-2) sous Kovac. En février 2021 l’ASM mène contre Reims avant de se faire broyer dans un festival de ridicule (CSC de Volland, rouge pour Lucas, but victorieux de M’Buku à la 93′). C’est alors P.Clement qui vient de reprendre les rênes. En août 2022, l’ASM en prend 4 à domicile contre Troyes (qui finira 19ème) et se fait contrôler par Reims (0-1) quelques mois plus tard.

Cette saison, alors que le coach Hütter semblait avoir apporté de la nouveauté, de la créativité et de la variété dans son animation, ce mal vient salement nous rappeler à l’heure de 2024. Défaite inadmissible face à un Reims ultra diminué (bien davantage que nous sur le papier) et la goutte d’encre qui motive cet article ; notre piteuse prestation de dimanche face au TFC. Ceci sans oublier les matchs face à ce type d’adversaire s’étant soldés par une victoire qui ne se méritait pas (face à Montpellier et Brest pour ne citer que ceux de cette saison). Bref, le mal existe, il semble profond puisque récurrent.

La technocratie et la tactique à papa

Que voit-on dans ce genre de match ? Des rouges (beaucoup), des erreurs de débutants impensables pour des joueurs de ce niveau, une faillite subite après une phase de maîtrise, et d’interminables séquences de possession latérale improductives…

Kovac, Clement et désormais Hütter se cassent les dents face aux “petits”, aux accrocheurs qui nous analysent, nous lisent et nous attendent. Si les projets de ces trois coachs et leurs principes sont à dissocier, le choix de la DS, à l’ambition très internationale, s’est porté sur des entraîneurs européo-compatible (qui ont joué l’Europa League ou la LDC) ayant façonné leurs effectifs avec des principes forts, ayant un très haut niveau de compétence technique avec une armée de staff et à la pointe de la modernité en matière d’outils et d’infrastructures. Ces trois entraîneurs ont des principes qu’ils entendent faire triompher par la supériorité du jeu, ce qui en soit n’est absolument pas un problème, mais tels principes se heurtent à une dure réalité : ici c’est la Ligue 1 !

Des cinq championnats “majeurs” en Europe, la ligue 1 est très largement la compétition la moins rythmée et la moins esthétique de toute. Homogénéité, intensité globalement très basse à la base (ce qui nous met à des lunes de l’Angleterre ou de l’Allemagne), culture tactique défensive de haut vol. Et plus le niveau de l’adversaire est faible plus ces principes sont forts pour simplement pallier le déficit technique et contrecarrer l’internationale asémiste sur le terrain de la tactique élémentaire.

Et tactiquement ?

Ce mal que nous semblons incapable de vaincre se synthétise assez simplement. Nos adversaires nous laissent volontiers la possession dont ils n’ont cure, maintiennent le rythme le plus bas possible tant que le score leur est favorable et, le plus important, disposent le bloc en position médiane. 

Disposer le bloc à la médiane revêt un avantage majeur ; celui de faire refluer nos offensifs et de les faire jouer dans une position qui n’est pas celle dont ils peuvent tirer profit (Golovin excentré et WBY dos au jeu au 35/40 m par exemple). La médiane permet aussi de terriblement contracter la zone de jeu puisque l’ASM entend jouer haut, ce qui à la perte offre des perspectives de contres saignants pour nos adversaires (il suffira simplement de visionner notre première période contre Montpellier au Louis II pour s’en convaincre).

Mais la médiane peut aussi joueur des tours à nos adversaires. La combinaison en une ou deux touches avec l’aile ou l’axe trouvée in fine en profondeur et c’est l’intégralité du bloc adverse qui doit précipitamment couvrir, en retraite, une zone dans son dos. Et même si ces combinaisons ne sont pas décisives, elles imposent à l’adversaire de réviser son positionnement par crainte d’être pris à chaque fois. Naturellement le bloc va reculer, jouer sur la brêche et paradoxalement permettre à nos offensifs de jouer en zone de prédilection. Ceci offre une domination authentique et pas simplement une possession stérile.

L’ASM, sous ses trois derniers coachs, veut jouer avec ses principes ; le ballon doit ressortir de derrière, les longues trajectoires sont proscrites pour trouver un pivot ou la technique d’une aile excentrée. Les systèmes changent, la disposition aussi mais l’intelligence tactique de ces adversaires demeurent la même. On nous laisse tranquillement sortir le ballon, bloc compact attentif au 50/60 m. Le ballon va circuler d’un arrière à un latéral, en arc de cercle, le rythme faible impose une rupture, donc une accélération subite et évidemment une plus grande précision. Lorsque le jeu se contracte nos joueurs, dont la plupart ont fait la démonstration de leur capacité, versent dans le déchet absolu. Avec le déchet vient la peur de mal faire, les initiatives disparaissent, le risque se tarit et nos adversaires eux, nous attendent avec encore plus de gourmandise. Si l’ASM parvient à trouver la faille dans ce genre de matchs, les phases de domination sont sporadiques, beaucoup trop pour assurer un contrôle pérenne du jeu, s’ajoute alors la peur de perdre qui laisse de vilaines traces dans un pressing hors-tempo, des interventions fautives et de mauvais placements sur CPA. C’est cela qui explique notre actuelle place au classement, pas nos matchs à l’extérieur, pas l’arbitrage et pas non plus la faible affluence au Louis II. C’est par exemple d’avoir pris un point sur neuf possible en 2024 à domicile en ayant joué Reims, le Havre et Toulouse !

Que faire ?

On peut évidemment blâmer la DS (Mitchell, Scuro) pour avoir nommé ces entraîneurs sans que la réussite soit réellement au rendez-vous, mais on ne peut blâmer le recrutement global de ces dernières années. Si Balogun peine durement à s’imposer, le recrutement de D.Zakaria ou W.Singo qui complètent un effectif largement préservé au mercato estival, doit logiquement nous faire espérer battre le Havre, Reims ou Toulouse à domicile.

Le mal est clairement dans les têtes, dans la capacité qu’ont nos entraîneurs respectifs à donner confiance aux joueurs à les rendre mentalement forts pour assumer les ambitions qu’on claironne. Le mal est aussi au tableau, A.Hütter, tels Clement et Kovac, semblent hermétiques à l’adaptation et rétifs à renoncer à leurs principes alors que l’adversité, lorsqu’elle est plus faible, l’impose clairement

Même si il lui reste une (petite) chance de faire valoir ses principes et de retrouver le niveau de domination qui était le notre en début de saison, A.Hütter a un avenir qui s’écrit en pointillé. Alors changer oui mais cette fois pour une personne qui s’est imprégnée dans sa carrière, de la culture de notre championnat et qui enseigne à nos joueurs qu’avant de jouer Naples ou le Bayern en LDC, il faut battre Toulouse, Reims, Le Havre, Metz, Montpellier au Louis II.

Photo : Anthony Bibard – FEP – Icon Sport